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Archi tech
Douze
jeunes architectes «non standard» versés dans le numérique
sont exposés à Beaubourg.
Architectures non standard,
exposition dans la galerie Sud,
niveau 1 et au Forum, niveau 0
du Centre Pompidou, Paris IVe.
Rens. : 01 44 78 12 33. Jusqu'au 1er mars.
Catalogue «Architectures non standard», 224 pp., 600 illustrations,
39,90 €. Editions du Centre Pompidou.
Un ruban, en
faux noeud de Moebius, se tortille dans la galerie sud du Centre Pompidou.
De petites images y sont alignées : la Chronophotographie d'Etienne-Jules
Marey, les Joyeuses Commères de Windsor de Man Ray, le toit de
la Casa Mila de Gaudí, le Modulor de Le Corbusier, Living Pod des
architectes anglais radicaux d'Archigram... Ce continuum de formes et
de corps s'attrape comme un mouvement de pensée, et autant de sources
d'une histoire de l'architecture à reconnecter. Autour de cette
banderole annonciatrice s'organisent les projets de douze jeunes architectes
internationaux réunis sous l'expression d'Architectures non standard,
sans aucune hiérarchisation.
Fin de la ligne
droite. Au premier regard, on comprend ce qui rassemble ces expérimentateurs
: avec eux, la ligne droite, c'est fini. Un vocabulaire organique se dessine.
Courbes, anneaux, embryons, plis, hybridations, capteurs, génèrent
des paysages flous et mouvants, parfois des «hypercorps»,
où les fonctionnalités se dilatent. Ces gestateurs explorent
et mettent en application les outils numériques pour la conception
et la production architecturale. Contrairement aux expressionnistes ou
aux mouvements radicaux des années 1960-70 qui, faute d'outils,
n'ont jamais pu réaliser leurs manifestes, ces architectes sont
au bord de pouvoir industrialiser des formes tordues, uniques, grâce
au prototypage informatique.
Les commissaires
de l'exposition, Fréderic Migayrou et Zeynep Mennan, posent le
«non standard» comme une déclaration théorique,
qui se lit d'abord en opposition à «standard», c'est-à-dire
aux normes d'industrialisation héritées de l'architecture
moderne rationaliste. Mais le concept renvoie aussi à l'univers
des mathématiques, au calcul infinitésimal. Les centaines
d'applications dans le domaine computationnel laissent entrevoir pour
l'architecture une chaîne continue de production, une mutation infinie.
Fraisage en
3D. Si les panneaux décoratifs en bois de l'agence Objectile ne
sont pas les pièces les plus séductrices, on se tournera
quand même vers son fondateur Bernard Cache, premier théoricien
du «non-standard». Ici, on ne fait plus appel au tour de main
de l'homme, mais à l'«associativité». Au moyen
d'un logiciel, le projet de design devient une longue chaîne de
relations, de la conception au pilotage des machines qui préfabriquent
les composants destinés à s'assembler. De manière
pédagogique, on se retrouve au coeur du fraisage en 3D. Sans souci
esthétique.
Que de contorsions
dans tous ces projets ! Le musée de l'automobile Mercedes Benz,
projet de l'agence Asymptote (New York), est calculé à partir
de la déformation virtuelle d'une carrosserie automobile aérodynamique.
Les façades ne sont pas élevées mais deviennent membranes,
l'intérieur se dilate. A Londres, deCOi Architect tord, comme une
spirale, la toiture d'un appartement privé qui devient décora
(c) tive. Pour la «résistante» Dagmar Richter de l'agence
DR_D (Etats-Unis, Allemagne), la surface est l'outil qui crée l'espace.
Domesticity interroge ce qui reste de la maison : une surface ou un écran
porteurs d'informations. La maison, sorte de langue, affirme son individualité
formelle face à l'environnement standard. Et si ces formes émergentes
menaient à un nouveau formalisme inféodé au seul
calcul mathématique ? Un «non standard» qui recréerait
un «standard» organique dénaturalisé !
Greffes. Comme
il n'est pas aisé de distinguer dans cette exposition les pures
prospections des rares bâtiments construits, il est tentant d'inspecter
quelques réalisations. On en trouvera plusieurs avec Ben Van Berkel,
de UN Studio (Pays-Bas), dont la gare centrale de Arnhem qui se réfère
à la bouteille de Klein, surface unique qui se replie sur elle-même
d'un seul tenant. La rénovation d'un bloc de 500 logements, l'immeuble
Kleiburg à Amsterdam, par Greg Lynn Form. Lynn gonfle la façade
de voiles en acier, opère différentes greffes, tandis que
les circulations intérieures sont réaménagées.
Du côté
du Hollandais Lars Spuybrook de Nox, on pourra voir dès le mois
de mars, dans le cadre de Lille 2004, sa Maison Folie de Wazemmes, sur
le site de l'ancienne usine textile Leclercq : il a enrobé la salle
de concert, un parallélépipède, d'un tissu métallique
ondulé quasi holographique.
«Biotope
mutant.» Autres projets en cours de réalisation, ceux de
l'agence française R & Sie, de François Roche et Stéphanie
Lavaux. Pour Roche, il n'y a pas de projections idéales préalables
à un état des lieux. Avec le musée d'art contemporain
de Bangkok, il propose une paillote techno ectoplasmique qui exacerbe
le contexte d'une ville polluée : un grillage électrifié
collecte la poussière et devient une membrane isolante. Roche intervient
furtivement, localement sur un «biotope mutant et tangible, issu
de la faillite généralisée des pensées urbaines».
Loin d'être un écologiste béat, il affirme clairement
que l'architecture doit traduire l'ambiguïté d'un monde monstrueux.
Tout en intégrant cette monstruosité, cette «saleté»,
dans ses projets.
Des muscles
pilotés qui déforment la structure d'un espace (Oosterhuis.nl,
Pays-Bas) aux environnements interactifs multisensoriels (Servo), la représentation
de l'architecture est devenue obsolète. Serait-elle même
devenue un crime ? L'esthétique parfois, et surtout les implications
économiques, sociales, politiques de cette nouvelle façon
d'envisager cet art, semblent remises, pour la plupart des architectes,
à un «plus tard». L'exposition n'est qu'un pari théorique,
et physique, sur le «non standard», révolution numérique.
Elle prend date avec cette mutation en gestation. Et relance un débat
né avec l'avènement de l'architecture moderne.
ANNE-MARIE FEVRE
Libération
Lunes, 29 Diciembre 2003
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